Les Fleurs De L Age
roman
Archipel
Roman français
Présentation
DU MÊME AUTEUR
La Vestale. Le roman de Pauline Viardot, Michel de Maule, 2001.
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Montréal, Québec, H3N 1W3.
eISBN 978-2-8098-1541-2
Copyright © L'Archipel, 2003.
Au grand T.
et au grand dam des autres.
L'esprit a beau faire plus de chemin
que le cœur, il ne va jamais si loin.
(Proverbe chinois)
1
J'ai toujours préféré les bourgeons aux fleurs, les promesses à leur accomplissement. Lorsque je rêve à ma vie future, tous les chemins sont offerts. Serai-je concertiste, écrivain scandaleux, épouse de milliardaire, sœur de la Charité dans un pays pauvre, mère de famille nombreuse ? Non, pas mère de famille nombreuse. Grande voyageuse ? À seize ans, je n'ai jamais rien vu d'autre que Paris et cette maison de Belle-Île où je suis aujourd'hui, je n'ai jamais connu d'autre horizon que celui que l'on voit depuis la fenêtre de ma chambre, jamais fréquenté sérieusement d'autres gens que ceux de ma stupide famille. Pourtant, rien ne m'interdit d'espérer que je ferai un jour le tour du mondeà bicyclette.
Je vois bien que je philosophe comme une petite prétentieuse, mais si je n'agite pas un peu mes pensées je vais mourir d'ennui. Mourir... Qui se soucierait de ma mort ? Certainement pas ma mère, à qui son chagrin et ses remords tiennent lieu de conversation avec le reste du monde. Mon père, peut-être, pleurerait avant de filer m'oublier dans l'un des bars du port. Mon pauvre frère ? Je préfère ne pas y penser. D'ailleurs, pourquoi mourir ? Je déteste les gens qui s'apitoient sur eux-mêmes. Quelque chose en moi me dit que j'irai loin, si loin que je ne remettrai plus jamais les pieds dans cette maison sinistre où quatre horloges vous rappellent sans cesse que vous avez encore perdu une heure à rêver. De Juju, je deviendrai la grande Juliette. Je suis un petit bourgeon qui attend et espère.
Une pluie fine douche le jardin de Belle-Île. Ils auront mauvais temps sur la route mais les petits ne souffriront pas trop de la chaleur en voiture. Avec un peu de chance, ils seront à Paris avant la nuit. Juliette leur a proposé d'emporter un dîner froid, mais ils préfèrent aller au restaurant. Quelle bêtise d'aller dépenser autant d'argent pour ne même pas savoir ce que l'on a dans son assiette ! Quant aux petits, cette vie de patachon va bien finir par les empêcher de grandir.
L'horloge de la salle à manger sonne un coup, celui du premier quart d'heure après quatre heures. Juliette l'entend depuis le grenier mais, pour une fois, n'y prête guère attention. Le goûter d'Anne attendra bien encore un peu. Elle-même n'a-t-elle pas attendu plus de cinquante années que la vie lui fasse un petit signe amical ?
Elle avait eu peine à se reconnaître dans cette écriture enfantine. La feuille dépassait d'un vieux carton à chapeau et elle s'en était saisie, le cœur battant, déjà confuse à l'idée de percer quelque secret de famille. On ne faisait pas le ménage chez les Calvert et les drames s'accumulaient en silence, chacun s'efforçant de ne pas soulever la crasse des rancunes et des pleurs.
J'irai loin... Juliette n'avait plus jamais quitté Belle-Île. La maison héritée de sa grand-mère, les grandes tablées deux mois par an et le silence le reste du temps, le mari pour qui ce n'était pas pire qu'ailleurs et, comme cadeau d'entrée dans le troisième âge, la petite Anne. Je suis un petit bourgeon qui attend et espère.
Bon, c'est pas tout ça, mais le goûter de la petite ne va pas se faire tout seul et le passé, c'est le passé. Juliette range dans un coin du grenier le lit pliant et redresse le cartonà chapeau. Son devoir lui commande de mettre chaque chose à sa place mais, soudain, elle ne sait plus bien où est celle de la feuille qu'elle tient. Alors elle la plie et, comme une enfant prise en faute, regarde furtivement autour d'elle avant de la glisser dans sa poche.
Au salon, Anne s'est réveillée. Le sommeil l'avait surprise après la grande scène du départ de ses parents, remords et soulagement mêlés chez sa mère, désespoir et résignation de son père, insouciance des petits qui croient encore à la fable d'un retour imminent de leur sœur parmi eux.
— J'ai éteint la radio et ça l'a réveillée, dit Louis.
Il est déjà dans la cuisine et épluche les légumes de la soupe qu'on mangera à sept heures précises. Depuis un mois, il râle parce que sa fille et son gendre oublient à la plage l'heure du déjeuner et du dîner. À MI-DI, le déjeuner. Il ne leur demande tout de même pas grand-chose. Ce soir, les saines habitudes vont reprendre le dessus. Louis est content.
Juliette essuie sur les lèvres d'Anne un filet de salive. Elle redresse l'enfant et la cale contre un coussin pour la maintenir assise. D'habitude, elle lui parle mais les mots sont aujourd'hui trop lourds pour trouver leur chemin. D'ailleurs, Anne ne fait pas attention à Juliette. Elle fixe du regard la petite étagère au bout du canapé, près de l'endroit où sa tête repose une bonne partie de la journée. Il y a là des poupées en costume traditionnel héritées de la mère de Juliette, un faux chien en vraie fourrure envoyé de Morzine par les petits, un tube lumineux dans lequel se font et se défont sans fin des bulles de cire orange et, dans un cadre, une photo de famille. Sa famille, Papa, Maman, Sophie et Paul, sans Anne mais avec grands sourires.
L'horloge sonne la demie de quatre heures, le coucou de la cuisine lui répond en écho. Lui ne sonne pas les quarts d'heure. Juliette sursaute. Ah ! oui, le goûter. La tasse est déjà prête, comprimés écrasés et compote de pommes maison. Allons, mange, ma petite Anne. C'est bon pour toi. La cuillère se fait insistante entre les dents serrées. Une cuillère pour Grand-Père. Anne recrache. Une cuillère pour Grand-Mère. Anne recrache. Une cuillère pour Maman. Anne ferme les yeux. Le goûter est terminé.
Dehors, un arc-en-ciel parle de trésors enfouis. Juliette fait le tour du jardin, pas le grand tour par le potager, juste le petit tour devant la maison. Anne attend et il y a du linge à repasser. Pourtant, rien ne m'interdit d'espérer que je ferai un jour le tour du monde à bicyclette.
Juliette serre dans sa poche la feuille pliée. Demain, elle retournera au grenier.
Autant l'avouer tout de suite, ma famille n'est pas fréquentable. Si la maison de ma grand-mère a encore fière allure, c'est parce que les femmes n'ont rien trouvé de mieux que le ménage pour ne pas y mourir d'ennui. Mais elles ennuient à leur tour tellement les hommes que ces malheureux se réfugient la plupart du temps au café où ils s'entraînent des heures durant à boire sans que cela se voie trop. Il paraît que c'est à cause de cela que mon frère ne tourne pas très rond. Je trouve injuste que les enfants aient à payer pour les bêtises de leurs parents.
Tout bien réfléchi, je crois que j'aimerais être pianiste. Je joue déjà assez bien pour mon âge et, avec un peu de travail, je devrais pouvoir me présenter au Conservatoire dans un an ou deux. Ma mère, bien sûr, me traite de folle, mais elle a déjà proposé de me coudre toutes mes robes de concert. Elle dit qu'un joli physique ne peut pas nuire à un métier comme le mien, je veux dire comme le futur mien. Elle dit aussi qu'une belle fille a besoin de moins de talent qu'une moche pour réussir. Je vais donc veiller à me tenir droite et à ne pas trop grossir. Ce n'est pas de la frivolité mais un investissement à long terme.
Une chose, cependant, me tracasse. Les femmes trop célèbres ont souvent du mal à trouver un mari et plus encoreà le garder. Moi, dès qu'un garçon me plaît, je me demande si notre amour pourrait durer toujours. À la vérité, je ne suis jamais sortie avec un garçon. Je suis très exigeante et opposée à l'idée de vivre un amour sans avenir ; donc, pour le moment, je ne me laisse approcher par personne. Pour être tout à fait honnête, je dois avouer que je me laisserais bien approcher par Pierre Leblond, mais il me regarde toujours comme si j'étais transparente. Il est beau ! Et spirituel, toujou...
Caractéristiques
EAN13 | 9782841874835 |
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ISBN | 978-2-84187-483-5 |
Éditeur | Archipel |
Date de publication | 5 mars 2003 |
Collection | Roman français |
Nombre de pages | 220 |
Dimensions | 10 x 10 x 2 cm |
Poids | 100 g |
Langue | français |
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