La dame de Provins
roman
Archipel
Roman français
Présentation
DU MÊME AUTEUR
Romans
L'Héritage de la nuit, La Différence, 1995.
Monsieur d'ailleurs, La Différence, 1996.
L'Étoile absinthe, Verticales, 1997.
Coups francs (collectif), « Folio Junior », Gallimard Jeunesse, 1998.
La Jeunesse de Molière,« Page blanche », Gallimard Jeunesse, 1999 ; « Folio Junior », 2003.
L'Ami d'Angelo,« Page blanche », Gallimard Jeunesse, 1999.
Le Petit Anarchiste, La Différence, 2001.
Au nom de la Pompadour, en collaboration avec Jean-Paul Desprat, Flammarion, 2001.
La gloire est un éclat de verre, L'Archipel, 2002.
Fragile Paradis, Berg International, 2002.
Les Lèvres de la Joconde, L'Archipel, 2003.
Essais
Création poétique et Poésie, Pierre Bordas et fils, 1990.
L'Âge du furieux. Une légende dorée de l'excès en littérature (1532-1589), Hatier, 1994.
Poésie
Les Antipodes, Gallimard, 1976.
L'Imprévu de tout désir, Gallimard, 1990.
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eISBN 978-2-8098-1514-6
Copyright © L'Archipel, 2004.
À Janine Lepère
« De toute façon, même si l'on décrit des choses qui se passent au Moyen Âge, on est forcément un écrivain d'aujourd'hui. »
Patrick Modiano
PREMIÈRE PARTIE
L'INVITATION AU CHÂTEAU
1
En ce jour d'avril 1230, Mariette Blancheflor ignorait que se jouerait bientôt son singulier destin.
Le dîner venait de s'achever. Sous les fenêtres de la salle à manger, la rivière Durteint scintillait au soleil, froissée de temps en temps par le sillage d'une truite ou d'un brochet. L'air était saturé d'odeurs de teinture et de cuir, qui signalaient la présence de nombreux ateliers de drapiers et de tanneurs dans la ville basse.
Elle se leva pour rejoindre sa mère à la cuisine. Alors qu'elle passait devant lui, son père la retint par la manche de sa blouse :
— Reste, mon enfant !
Il y avait de l'âpreté dans sa voix. Elle s'assit devant lui, le cœur battant, les joues en feu. Il la fixait sans rien dire. Sa bouche, fendue en coup de serpe, tremblotait sans qu'aucun son n'en sorte. Mathias Blancheflor était un homme sec, au visage tout en creux et en saillies, dont les yeux noirs reflétaient une résignation insondable.
Il avait commencé sa longue carrière de maçon en bas de l'échelle. D'abord réquisitionné par corvée, il avait gravi les échelons jusqu'à devenir artisan qualifié. Son labeur acharné ne lui avait procuré ni richesse ni prestige. Sa seule récompense était de l'accomplir dans les règles de l'art, mais avec le secours de la grâce divine, sans quoi le meilleur ouvrage ne vaut rien, comme il le disait souvent à propos de sa maison, bâtie vingt ans plus tôt, rue Poulain.
Avec l'âge, il recevait de moins en moins de commandes et se morfondait entre la rue et la rivière, parmi le vacarme du labeur et les cris des apprentis de Gilles Juliot, le maître drapier, fournisseur de la cour de Champagne, installant leurs placards au bord du Durteint.
On parlait de prolonger le tracé des anciennes fortifications de Provins pour ménager de nouveaux espaces et permettre aux foires de contenir les exposants du monde entier. Peut-être se déciderait-on à lui faire signe pour un dernier combat, une dernière grâce ?
— Mariette, dit-il enfin, j'ai rencontré hier notre cousin, le baron d'Ombreuse. J'espérais qu'il avait un chantier à me proposer mais, à ma grande surprise, il m'a aussitôt parlé de toi. Il m'a posé cent questions et s'échauffait tellement que j'ai cru qu'il allait demander ta main. Au vrai, il désire que tu serves de demoiselle de compagnie à la baronne, atteinte d'un mal de langueur depuis plusieurs années. Souvent absent, il a pensé qu'une jeune fille aimable comme toi pourrait la distraire. Bref, ta piété, ta grâce et ta simplicité – ce sont ses propres termes – l'ont convaincu de te recevoir en son château de la Chênaie.
À ces mots, un bloc d'ombre se dressa devant elle. Elle entendit grincer des chaînes, gémir un pont-levis, s'ouvrir des portes de fer sur des cours vides et la pierre tinter sous ses sabots. Elle se revit, en robe de fête, accrochée à la corde de l'escalier à vis et montant, montant sans cesse.
— Tu m'écoutes ? s'impatienta Mathias, interrompant sa rêverie. Tu y seras très bien, je t'assure. Tu pourras emporter tout ce que tu désires et t'en servir à ta guise. Ma chère fille, accomplir cette bonne action te rapprochera davantage encore de nos cœurs, si cela est possible. Et puis, ne crains rien, le baron m'a promis que tu pourrais venir nous voir quand tu voudrais. Tu seras logée, nourrie et tu toucheras en outre un salaire, car il ne veut pas t'exploiter. Mais il a insisté sur le fait que tu aurais le statut d'invitée et non celui de servante. Tu ne seras donc pas prisonnière de ton charitable office, tu pourras l'exercer comme bon te semble et le suspendre de la même façon. Nous avons convenu qu'il t'emmènerait dès demain, après les vêpres. C'est à Saint-Ayoul, où il se trouvait dimanche dernier avec un client, qu'il t'a remarquée. C'est là qu'il nous attendra.
Elle se rappela soudain cet homme qui n'avait cessé de l'observer durant la messe.
Absorbée dans ses prières, elle n'avait pas tout de suite fait attention à lui. Elle avait ressenti une gêne dans le dos, sur sa nuque, comme le poids d'une paume appuyant sur son cou, effleurant sa chair nue sous les mèches échappées du chignon.
Heureusement, le sermon de l'abbé Jalluin avait commencé. Elle avait pu alors s'asseoir, souffler un peu.
Elle aimait beaucoup cet homme. Il l'avait baptisée, lui avait appris à lire et à écrire. Ce solide bénédictin savait d'un coup d'œil jauger la valeur d'une âme dans la balance du Seigneur. Ses paroles étaient à son image, drues, colorées, familières, et il lui arrivait souvent d'user, en chaire, de l'idiome champenois au lieu de la langue savante.
Elle s'était retournée, balayant du regard l'assistance, puis elle avait levé les yeux vers cet espace surélevé qu'on appelle le « banc », réservé aux seigneurs de la région. Accoudé à la balustrade, quelqu'un l'observait. Voyant qu'elle l'avait repéré, il s'était reculé dans l'ombre, mais pas assez vite pour l'empêcher d'apercevoir ses traits, d'une harmonie sévère, précocement vieillis et douloureux, une épaisse chevelure grise aux mèches emmêlées et de longues mains jointes en une supplication muette.
Elle l'avait trouvé beau et triste, comme rongé par quelque mal secret.
2
Après que son père eut fini, Mariette ne répondit pas tout de suite, tant elle était abasourdie. Pour une fois, la volonté paternelle devançait un désir qu'elle n'osait pas s'avouer, celui de s'évader d'une enfance trop heureuse et trop protégée.
Elle était impatiente de découvrir l'envers d'un monde dont elle n'avait vu jusqu'ici que le tumulte coloré de ce quartier d'artisans où elle avait grandi.
Ses parents n'avaient jamais voulu qu'elle travaille chez un maître drapier, comme plusieurs de ses amies qui avaient suivi cette voie avant de se marier, et comme Jeanne Blancheflor elle-même, dans sa jeunesse.
La mère et la fille œuvraient ensemble à domicile, reprisant et brodant, riant et parlant comme de vieilles amies. C'était cette complicité délicieuse qu'elle regretterait le plus, ce partage qui aplanissait leurs différences de caractère, elle, audacieuse et entière jusque dans sa façon de rêver, Jeanne, plus réservée, peureuse et soumise, ne cessant de pleurer le fils qu'elle n'avait pu donner à son époux, le seul amour de sa vie.
Mariette avait longtemps pensé qu'elle n'aurait jamais le courage de partir. Et voilà que son père lui en offrait l'occasion, avec, en outre, l'excuse, imparable aux yeux de sa mère dont elle devinait déjà le chagrin, de s'occuper d'une femme qui souffrait.
— J'accepte, dit-elle seulement, faisant semblant d'oublier, dans un réflexe de fierté, que son père avait donné son accord à sa place.
Mathias hocha la tête pour signifier qu'il était content que les choses soient en ordre et que cela n'appelait pas de commentaire particulier.
Dans le couloir...
Caractéristiques
EAN13 | 9782841875948 |
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ISBN | 978-2-84187-594-8 |
Éditeur | Archipel |
Date de publication | 2 juin 2004 |
Collection | Roman français |
Nombre de pages | 240 |
Dimensions | 10 x 10 x 2 cm |
Poids | 100 g |
Langue | français |
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