xylophon

Témoin signifie martyr. Tout homme qui témoigne est écartelé, doublement déchiré dans sa chair et dans son esprit. Déchiré d'abord à l'intérieur de lui-même entre le témoin suprême au sommet de son être et le pitoyable individu dont il assume la vie au long des jours. Déchiré encore par l'abîme qui sépare la vérité dont il témoigne du monde qui ne veut pas recevoir son témoignage" Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort.

Témoigner c'est donc à la fois dire pour soi, pour en finir avec cette dualité oppressante qui fait que pour survivre on a été obligé de scinder la vie de là bas et la vie d'ici.

L'ODYSSEE D'HOMER... J. SIMPSON

Ingrid Betancourt retrace, en près de 700 pages, son calvaire de six ans et demi de captivité aux mains des Farcs, les Forces armées révolutionnaires de Colombie. De "véritables voyous" dont le terrain de jeu est la jungle colombienne, un environnement hostile. Un récit bouleversant. Le témoignage plein de lucidité d’une femme prisonnière au coeur de l’enfer, engagée dans une lutte acharnée pour ne pas perdre la conscience d’être encore vivante. Sa foi indéfectible, sa noblesse d’âme et son courage forcent, à chaque page, le respect et l’admiration.

La capture, la vie dans les différents camps, les marches interminables, des conditions de vie extrêmes, les tentatives d'évasion, les violences, les humiliations, les tensions, les disputes... On suit, jour après jour, semaine après semaine, mois après moi et année après année, le quotidien des otages, fait de hauts et de bas, totalement à la merci des humeurs des guérilleros. Un quotidien fait de journées interminables. Une lente et longue descente aux enfers... "Nous étions condamnés à la peine la plus lourde qu'on puisse infliger à un être humain : celle de ne pas savoir quand elle prendra fin", écrit l'otage franco-colombienne.

Alors que certains otages cherchent à s'adapter (à l'image de Clara Rojas), Ingrid Betancourt cherche, dès le départ, à fuir. "Plus que d'un assassinat, c'était d'une prise d'otage dont j'avais toujours eu peur". Elle décide de lutter. Pas de résignation mais une capacité à recevoir les coups, "comme un navire battu par les vagues, mais qui ne coule pas". Petit à petit, consciente que son extrême fragilité l'a rendue forte, elle décide de cacher ses émotions pour survivre. Elle apprend "à ne rien désirer" pour atténuer sa déception. Elle se retranche dans la colère, la rage et une extrême froideur pour parer aux chocs de l'adversité, du mépris. "Il ne faut pas céder au chantage, il valait mieux mourir que de se soumettre". Son seul devoir : récupérer sa liberté.

Mise à rude épreuve dans la jungle, la force de caractère d'Ingrid Betancourt est impressionnante. Aux certitudes et à l'envie de survivre succéderont, parfois, les doutes, la détresse, l'ennui, la maladie... Mais, face à des situations cruelles, intolérables, inavouables, elle tient tête. Remplie de haine : "Je compris que je pouvais être comme eux. Je pourrais tuer moi aussi". Mais toujours prête à pardonner... "Je ne veux pas être enchaînée à la haine, ni à la rancoeur. Je veux avoir le droit de vivre en paix. La compassion est la clef du pardon"...