Chaque Livre E.

François Vallejo signe un très bon livre, peu connu, sur la sororite et l’émancipation des femmes après-guerre, durant les Trente Glorieuses.
Son questionnement sur la place de la femme est abordé par un angle très intéressant et original puisqu’il nous propose de suivre trois sœurs héritières et orphelines au sortir de l’adolescence, qui évoluent dans des milieux douteux et qui leur vie durant vont refuser toute vie ordinaire, tout homme ordinaire et ce pour des raisons bien différentes !
Ainsi, Vallejo explore en profondeur les relations humaines, leur étrangeté et surtout la sororite, le fonctionnement clanique de ces trois filles. Finalement, sous une plume d’une grande classe, c’est une magnifique approche du féminisme que nous propose l’auteur.

Hélène-Lecturissime
Un récit jubilatoire admirablement bien mené.

Ce récit est mené tambour battant, pas un instant le lecteur ne s’ennuie tant l’écriture est vive, et tant les personnalités de ces sœurs hors du commun sont attachantes.

- Ces quatre femmes (j’inclue la grand-mère qui le mérite bien…) sont époustouflantes. Marthe est un exemple de dévouement qu’un petit séjour au sanatorium délivrera d’une charge trop lourde pour ses maigres épaules ; Sabine prendra le relais, prête à tout pour subvenir aux besoins de ses sœurs ; et la plus jeune, Judith, est celle avec qui « Il fallait s’attendre à tout » (p. 198), la suite de l’histoire le prouvera. La grand-mère quant à elle s’amuse follement au milieu de cette joyeuse smala, et lance souvent son rire « descendant, ferme et bref » (p.25), tout en comptant ses napoléons d’or pour les offrir à ses petites-filles, encore persuadée qu’ils seront utiles pour financer leurs folles équipées parisiennes. Leurs liens demeureront indéfectibles :

« Tant que nous sommes trois, nous ne sommes pas abandonnées. Il suffit de rester ensemble, vous ne croyez pas ? Nos sommes sœurs depuis le début, ça durera jusqu’à la fin, si nous le décidons. » (p. 24)

- L’ensemble est drôle, enlevé, un vrai bonheur de lecture.

« Le plus simple serait que les sœurs Brelan acceptent la tutelle officielle de Pierre Ledru, même s’il est dirigé par sa femme.

Le jardin est beaucoup plus grand chez nous, il aurait de quoi faire pousser ses rosiers… Mais nous, on n’est pas des rosiers. » (p. 16)

Magali C.

Texte non corrigé à paraître le 28 août 2010.

Marthe, Sabine et Judith "étaient trois et partageaient trois habitudes : s'accorder d'un coup d'oeil, se taire au même moment et parler toutes à la fois." (p. 9) Orphelines très jeunes, elle refusent de se soumettre à un tuteur. Marthe décide d'assumer la charge de ses cadettes. Que l'argent vienne à manquer, que la famille et l'entourage les pointent du doigt, les soeurs Brelan s'en moquent. Fières et déterminées, elles resteront ensemble: "Tant que nous sommes trois, nous ne sommes pas abandonnées. [...] Nous sommes soeurs depuis le début, ça durera jusqu'à la fin, si nous le décidons." (p. 24) De la fin de la seconde guerre mondiale à la chute du mur de Berlin, elles surmontent la tuberculose de Marthe, le mariage allemand de Sabine et la passion de Judith pour un tueur en série, autant d'épreuves qui ébranlent la puissance de leurs liens sans jamais les détruire.

Les soeurs Brelan sont trois, explicite patronyme: trois femmes, trois caractères, trois volontés, mais un même regard gris et une même voix au plus fort des divergences. Et c'est au sein de la discorde qu'elles créent qu'elles se retrouvent le plus unies. Triade féminine qui fait front commun face à la famille et face aux intrus de tous poils, les soeurs Brelan ne vivent que pour elles et par elles. Femmes indépendantes, manipulatrices habiles, elles savent préserver les intérêts de la sororité.

Le seul amour valable est fraternel et aucune des trois soeurs ne vit d'amours heureuses. Marthe ne connaît que l'étreinte furtive d'un tuberculeux en phase terminale. Sabine épouse un homme qui est tombé amoureux des yeux gris des trois soeurs. Judith s'amourache d'un violeur assassin qui refuse de la toucher. Les hommes ne sont pas les bienvenus. Les quelques personnages masculins du récit n'ont jamais le beau rôle: ils sont morts, alcooliques, soumis, pervers, etc.

La femme est au centre du texte. Avec ses trois visages, le trio Brelan couvre toutes les facettes et tous les âges de la féminité. Si Marthe incarne l'éternel maternel et se dévoue entièrement à ses soeurs, les cadettes voient plus loin et plus grand. Sabine triomphe en femme accomplie, les affaires se substituant à la sexualité. Et Judith reste l'enfant intouchée, même au plus fort de sa maturité physique, en s'enfermant dans des idéaux utopistes architecturaux et sociaux.

La grande maison conçue par le père Brelan, féru d'architecture et disciple enthousiaste de Le Corbusier, est un lieu étrange. Ni villa bourgeoise ni immeuble de rapport, la demeure voulait souscrire aux idéaux de l'habitat collectif façon Cité radieuse. Elle semble plutôt un étrange labyrinthe habitée par des figures de femmes imprécises. Le vaisseau fantastique des soeurs Brelan est une antique Monasix Luxe qui leur offre des virées chic et insensées.

Étrange expérience qu'ouvrir un livre sans première ni quatrième de couverture. Le saut dans l'inconnu a été total, d'autant plus que je ne connaissais pas l'auteur. La découverte est un profond plaisir. J'ai dévoré le livre en quelques heures, fascinée par les trois soeurs, ces femmes de têtes qui s'émancipent et s'assument dans les Trente Glorieuses.

Un grand merci à Dialogues Croisés qui organise une opération Rentrée littéraire 2010 et aux éditions Viviane Hamy qui m'ont fait découvrir ce livre en avant-première. Je ne présage rien des chances qu'aura l'auteur de décrocher tel ou tel prix littéraire cet automne, mais j'annonce un grand coup de coeur pour ce texte en particulier et pour cette plume vive qui se déploie avec force et délicatesse.