Yv

A peine ouvert l'album, je me suis dit que je connaissais ce trait, ces couleurs, et ça a fait tilt, c'est Béatrice, la bande dessinée précédente de Joris Mertens qui m'avait déjà fait de l'effet. Outre l'histoire drôle, touchante et sombre, qui décrit un homme fatigué, blasé mais qui garde en lui encore une once d'espoir d'une vie meilleure pour lui et ses proches, c'est le dessin et les couleurs qui m'attirent. Joris Mertens peut dessiner une page entière de petites cases aux teintes neutres, puis la page tournée, les rouges et jaune chauds dans de grandes cases ou une succession de petites cases muettes explosent la rétine. Il pleut beaucoup dans la ville, les dessins sont hachurés des gouttes qui tombent, les phares des voitures et les enseignes se reflètent sur le sol trempé. C'est très beau ces quelques tâches colorées dans les jours sombres.

Joris Mertens dessine la camionnette des livreurs dans le Paris de l'époque -je dirais années 80 ou fin 70-, du dedans, de face, de profil, de derrière, du dessus et même à travers une vitre d'un salon de coiffure ; j'aime beaucoup, il ne se prive d'aucun angle pour dessiner la ville, ses habitants et les deux livreurs.

Excellent album qui fait le portrait d'un homme usé que l'espoir de gagner au loto et de pouvoir aider ses amies maintient en vie. Magnifique, superbe, ceci dit, sans tomber dans les superlatifs ou le dithyrambe car ces adjectifs sont mérités.

Eric R.
Un graphisme grandiose

En deux albums, Joris Mertens s’est fait un nom dans le monde de la BD. Un nom associé à un style graphique immédiatement identifiable.

C’est le dessin magistral qui identifie d’abord le talent. Il suffit de feuilleter l’album pour être séduit immédiatement par des doubles-pages éblouissantes. Il est sombre, dans son récit comme dans ses images. Il pleut tout au long des 142 pages, sans arrêt, une pluie drue qui rend les rues d’un Bruxelles recomposé au temps des DS et des Simca 1000, fantomatiques mais présentes comme un personnage essentiel. Les cases sont allumées de l’intérieur par quelques couleurs récurrentes. Le rouge éclaire les scènes, et le jaune des phares des voitures, des enseignes lumineuses, omniprésentes. « Schpritt », « Mouche télé », « Glou-glou » ou encore « Schtinck » balisent, comme des onomatopées dans des pages silencieuses et rêveuses, la balade bruxelloise de François, homme proche de la retraite, qui mène une vie routinière de livreur chez une blanchisserie et partage sa vie entre son métier, une petite chambre et quelques bières chez Monica, son bistrot favori.

Un petit coup d’oeil sur une vitrine de lingerie féminine, un regard sur les jolies jambes d’une passante sont les seuls autres moments de la journée où François peut oublier sa vie minutieusement réglée. Pas très solide il subit le monde, à la manière d’un personnage de Marcel Aymé, comme il subit la pluie, oublieux qu’il est de se protéger avec ce parapluie qu’il abandonne en permanence. Il n'est pas fait pour lutter contre les difficultés de la vie, François. Il est fait pour une vie d’habitudes et de petits plaisirs. Il oublie ce qui peut le protéger.

Une éclaircie dans cette météo pourrait venir d’un tirage au Loto, il joue les mêmes chiffres depuis plusieurs années. Et puis un jour, accompagné d’un fieffé imbécile, stagiaire et neveu de la patronne, il doit se rendre à l’extérieur de la ville pour une livraison peu ordinaire. Et alors vient le temps des opportunités, des choix, du destin à accomplir ou à rejeter.

« Nettoyage à sec » est bien entendu une méthode de lavage mais aussi une expression à plusieurs sens car sans rien dévoiler du scénario, cette BD est un excellent polar d’atmosphère et sociétal qui montre la vie des gens ordinaires dans un monde fait de petits riens: des bocks étincelants de bière le soir sur la table du bistrot, des pavés luisants dans la nuit où l’on glisse, des dessins d’enfants et des voitures mal garées. Et la peur du chômage, de la descente aux enfers, de la pauvreté.

Eric