o n l a l u
Hommage au soldat très connu

Pour le centenaire de la guerre 14-18, les livres envahissent les vitrines (et peut-être les catacombes). La plupart traitent de géo politique, de stratégie et parfois de souffrances, mais aucun de rédemption. Figure pourtant au centre de cet imposant éventaire guerrier, comme une sorte d’anomalie, une biographie fouillée de Guillaume Apollinaire, ce qui pourrait étonner, la poésie ne faisant pas forcément bon ménage avec l’art de la guerre, surtout celui des tranchées et du gaz moutarde. Apollinaire a-t-il pris la guerre pour un poème ? Bien sûr que non, mais il s’est engagé avec enthousiasme et, comme son ami- ennemi Blaise Cendrars, s’est illustré au front, tout en ne désertant jamais l’écriture, avant d’être blessé à la tempe par un éclat d’obus et être emporté par la grippe espagnole (il n’avait que 38 ans). Cendrars a été un peu mieux loti que lui en ne perdant que sa main droite (ce qui le força à écrire de la gauche, symboliquement).

Comment un chantre de la modernité comme Apollinaire est-il entré dans ce fracas, cette aberration, ce massacre ? La vaste biographie (819 pages) de Laurence Campa n’apporte qu’une réponse succincte. Métèque, aux origines incertaines, Apollinaire paraît avoir été porté davantage par l’air du temps pour s’engager que par ses convictions qui le poussaient plutôt vers le cosmopolitisme et l’amour. La preuve : juste avant de signer son engagement à Nîmes le 7 décembre 1914, il vécut, avant de partir au casse-pipe, une semaine de passion intense avec Louise de Coligny-Châtillon, l’une des femmes qui ont inspiré sa poésie (Poèmes à Lou) avec notamment la peintresse Marie Laurencin. Ce qui frappe dans l’étrange, intense et bref destin d’Apollinaire, c’est qu’il a mené de front sur la fin, si l’on peut dire, presque sans tambour ni trompette, une activité de combattant et une autre de créateur et de grand agitateur de la culture (même quand il était soldat, il a été presque autant journaliste, critique d’art défendant par exemple le cubisme, directeur de revue que poète ou écrivain). D’une écriture souvent souple et bien informée, Laurence Campa retrace avec une grande minutie le parcours de cet apatride (il ne deviendra français qu’en mars 1916) au talent protéiforme. Tous les gens qui ont compté dans cette époque troublée et trouble du début du 20ème siècle défilent dans le récit de cette vie à nulle autre pareille. De Picasso, qui fut l’un des grands amis d’Apollinaire, au Suisse Blaise Cendrars, qu’il fréquenta et peut-être copia (son poème " Zone " ressemble parfois furieusement aux " Pâques à New-York " de Cendrars), en passant par Aragon, pape du communisme, et André Breton, futur patron du surréalisme, sans oublier Cocteau, Radiguet, Jules Romains, les grands peintres du temps, notamment ceux du cubisme, Apollinaire a rencontré, conseillé, quasiment coaché, critiqué tout le gratin culturel de son temps. Le seul petit bémol qu’on peut apporter au formidable travail de Laurence Campa, c’est qu’elle a dû utiliser pour sa bio du « bois mort » comme matière première (lettres, livres, documents officiels, etc.). L’historienne n’a pas eu la chance de Miriam Cendrars, qui pour écrire la grande bio de son père en 1984 chez Balland a pu, elle, recueillir des témoignages « vivants », comme celui de Raymone, que le poète connaissait depuis si longtemps et qu’il finit par épouser « parce qu’elle voulait être Suissesse », dixit Cendrars. Cette précision à part, l’Apollinaire de Laurence Campa apparaît comme un véritable monument dans le centenaire de la guerre 14-18. Pas au soldat inconnu, mais à un soldat-poète vraiment très connu…

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