Arnaud B. Libraire

Pour tenter de lever l'un des derniers tabous sociétaux de l'Occident, la différence d'âge entre deux personnes qui s'aiment, Tomas Espedal nous compte plusieurs histoires d'amour au cœur desquelles il formule les vérités importantes que le sujet impose. La force de ce livre est dans l'universel qu'effleure en va-et-vient l'auteur avec la timidité du boxeur, la pudeur de celui qui est nu ; il se pourrait que ce soit de lui qu'il parle, il se pourrait que ce soit de vous. C'est toujours un petit pas en avant de la bien-séance, un pas de côté par rapport aux salons bien-pensants. C'est souvent très beau – l'émancipation de sa fille - , jamais vulgaire ; c'est haletant à Rome, au Nicaragua, à Copenhague : et lorsque c'est érudit c'est pour nous montrer Héloïse et Abélard, 16 et 38 ans, l'une enceinte et l'autre châtré. Mais ceci est une autre histoire. Coup de cœur.

Clara

Il a quarante-huit huit ans et fait plus âgé "Dès qu'il a vue, il a oublié l'âge qu'il avait. Leur rencontre n'avait pas d'âge."

"Nous nous sommes rencontrés à une fête. C'était le réveillon du Nouvel An. Le langage du bonheur et en tout point simple et brutal : elle était la fille la plus belle que j'aie jamais vu.
Le langage du bonheur peut être blessant : à ses yeux, j'étais un homme âgé.
Ou plutôt : nous nous sommes reconnus tout de suite.
La jeune fille et l'homme âgé. Nous avions besoin l'un de l'autre. Nous allions nous aimer.
Comment écrire sur le bonheur ? Que puis-je dire sur le bonheur, si simple et banal, si calme et transparent ? Comme lorsqu'elle était allongé sur le canapé et que je la voyais à peine, tellement j'étais habitué.
(...)
De toute ma vie je n'ai jamais été aussi heureux."

Pourtant, le narrateur a vécu avant cette rencontre, il a été marié et est père. Mais il vit le grand bonheur, l'amour le plus grand et le plus beau avec cette fille beaucoup plus jeune que l'on prend pour sa fille.
"Cela se produisait tout le temps.
Nous sortions, quelqu'un nous abordait, voulant faire la connaissance de ma fille.
C'était honteux.
Nous avions honte.
D'où venait ce sentiment de honte ?
Le bonheur était-il honteux? Notre bonheur était honteux, il n'était pas naturel, il était contre nature.
Nous avons cessé de sortir. Nous nous isolions à la maison."
Se protéger du regard des autres pour garder leur amour intact.

Le narrateur nous rappelle que les amours avec des différences d'âges ont toujours existé. Comme Héloïse et Abélard : un amour interdit entre une jeune femme de dix-sept ans et un professeur chargé de son éducation. La passion sera plus forte que tout mais leur relation se terminera dramatiquement. La grande différence d'âge est synonyme de péché et sème l'opprobre. Il faudrait savoir bâillonner les coeurs...

Lorsque son amoureuse le quitte, le temps le rattrape comme si le bonheur l'avait épargné. Il s'agit d'un homme vieilli qui ne se reconnaît plus. Il s'abandonne, ne cherche pas à lutter.
Un roman écrit avec une grande pudeur et sans faux-semblants.
Est-ce l'auteur qui se cache derrière le narrateur? Peu importe car le résultat est un roman qui prend aux tripes par sa beauté, son universalité et les toutes dernières pages m'ont remplie les yeux de poissons d'eau...