• Magali C.

    Jakob Bronsky est un juif allemand, rescapé des ghettos, arrivé en Amérique au début des années 1950. Sans le sou, il vit de petits boulots et de combines plus ou moins légales. Au milieu des prostituées et des clochards des bas quartiers de New York, il ne pense qu’à écrire son roman sur son expérience de la guerre. « Quelque part dans mes souvenirs, il y a un trou. Un grand trou noir. Et c’est par l’écriture que j’essaie de le combler. » (p. 63) Outre sa plume, son sexe l’obsède et on le suit dans ses déambulations noctambules à la recherche d’une femme complaisante. « Mon besoin de sexe est directement lié à ma puissance créatrice, à la foi en mon génie artistique. » (p. 99)

  • Magali C.

    Bande dessinée de Gauthier, pseudo de Frédéric Marniquet.
    C’est l’histoire d’un garçon-lapin qui craint la fin de journée. « Le temps de la peur… à 19 h 00 pile. « Quand mon père rentrait du travail, j’étais le lapin et lui le chasseur, me cachant dans la forêt qu’était devenue la maison. » La brutalité et la cruauté du père marquent l’enfant et le poursuivent longtemps, même quand il part s’installer très loin avec sa mère.

    Hélas, ailleurs, il y a d’autres violences et d’autres douleurs. La cour de récréation et l’école sont le foyer d’une cruauté qui n’en finit pas, à tel point que l’enfant-lapin fait des souhaits macabres. « J’aimerais pouvoir disparaître. » Seul, sans ami, le garçon ne peut que fuir et se soustraire à ce qu’on attend de lui, mais comment se justifier ? « Je viens d’avoir ton professeur, il paraît que tu ne vas plus en classe depuis 5 jours… Mais pourquoi tu me fais ça !! / C’est parce que je suis une crotte de lapin. » Alors, très vite, c’est l’escalade : l’estime de soi et la confiance disparaissent, laissant place à une violence déviante, aux portes de la folie.

    Peau de lapin se présente sous la forme d’un album carré, épais et doux. Le dessin au crayon de bois se répartit en quatre cases par page. Ça pourrait être les dessins d’un enfant ou d’un apprenti dessinateur, mais il ne faut pas se fier à l’apparente naïveté du trait. Cette histoire, présentée comme autobiographique, parle de douleur et de solitude. Ou comment un enfant maltraité se défend comme il peut, développant à son tour une cruauté qu’il ne maîtrise pas et qui le sépare toujours plus des autres et du monde. Je ne m’attendais pas à tant de puissance et de violence en ouvrant ce livre.

    Régulièrement, il y a des pleines pages où la mine grise du crayon de bois envahit l’espace, réduisant le blanc à force de traits systématiques, réduisant de même l’espoir et la vie. En ne lisant que ces pages uniformément grises, où ne figure qu’une phrase, on retrace toute l’histoire de la dépression chez l’enfant, en passant de la surprise au doute et à l’inquiétude. Cet album n’est pas à mettre entre les mains des enfants. Âmes sensibles, s’abstenir.

    Donc, une grosse émotion en lisant cet ouvrage qui n’est pas tendre et qui n’offre pas de rédemption. Non, cette histoire ne finit pas bien, mais si ce récit est réellement autobiographique, il y a un espoir. Un bel espoir.

  • Magali C.

    Pascal Klein est un marchand d’art cynique, un rien amer de ne pas être devenu peintre, à l’instar de son célèbre père dont c’était le domaine réservé. Ne pouvant créer, il a choisi de vendre les créations des autres et il se positionne surtout sur l’art moderne, très abstrait et fortement conceptuel. « Une fois la beauté considérée comme ringarde, le support avait sombré au profit de son explication. Duchamp, en rejetant la responsabilité esthétique sur le spectateur, avait mené le monde au relativisme absolu qui conduit invariablement au cynisme. On vendait désormais des modes d’emploi. » (p. 35) Pascal considère l’art comme un bien de consommation courante, certes de luxe, mais qui est régi par les règles du marché, de l’offre et de la demande.

  • Magali C.

    Ce volume des Rougon-Macquart met en scène Jean Macquart, frère de Gervaise, mais il est surtout question de la famille Fouan. Sur une quinzaine d’années, on suit la vie de Rognes, petit village de la Beauce, région agricole rythmée par les travaux de la terre. « Cette Beauce plate, fertile, d’une culture aisée, mais demandant un effort continu, a fait le Beauceron froid et réfléchi, n’ayant d’autre passion que la terre. » (p. 39)

    Au début du roman, le père et la mère Fouan, brisés par des années de labeur dans les champs, décident de donner leurs terres en partage à leurs trois enfants, Fanny, Buteau et Jésus-Christ, en échange d’une rente à vie. Mais les parents enragent autant de donner leur bien que les enfants étouffent de devoir partager l’héritage et d’attendre la mort des vieux pour toucher les magots cachés. « Ah ! Si l’on pouvait emporter son avoir ! […] Mais, puisqu’on ne l’emporte pas, faut bien que les autres s’en régalent. » (p. 439) Au fil des années, on assiste aux manœuvres sournoises des trois enfants pour augmenter leur part. Et il y a aussi Lise et Françoise, deux sœurs qui passent de l’adoration mutuelle à la haine absolue, à cause de la terre et à cause d’un homme. Fi des liens de sang ou de famille quand il s’agit d’augmenter son bien et de posséder la terre, toujours plus de terre. Et il n’y a que le notaire Baillehache qui tire profit de ces luttes intestines : placide, il assiste aux querelles familiales pour gagner un sou, ne pas payer une chemise et ne pas céder un arpent de terre.

    Émile Zola décrit l’attachement viscéral des paysans à leurs terres, passion qui se double d’une avarice et d’une cupidité sans bornes. Sans ses champs, le paysan se sent dépossédé, diminué et humilié. Après s’être dépouillé de ses biens au profit de ses enfants, Fouan est un homme méprisé et que le village ne considère plus. « Il retombait dans le mépris, maintenant qu’il n’avait plus rien. » (p. 402) En Beauce, l’avoir fait l’homme, même s’il le tue dans le même temps. « La terre, […], mais elle se fout de toi, la terre ! Tu es son esclave, elle te prend ton plaisir, tes forces, ta vie, imbécile ! et elle ne te fait seulement pas riche ! » (p. 223) L’auteur évoque les premières mécanisations et la crise agricole, ravivant l’ancestrale lutte entre le paysan et l’ouvrier : « Si le paysan vend bien son blé, l’ouvrier meurt de faim ; si l’ouvrier mange, c’est le paysan qui crève… Alors, quoi ! je ne sais pas, dévorons-nous les uns les autres ! » (p. 143)

    Dans La terre, Jean Macquart est donc un personnage largement secondaire. Contrairement à certains de ses parents, il ne présente aucun vice et se montre bon travailleur et honnête homme. On verra que ça ne lui réussira pas et que certaines canailles de la Beauce s’en sortiront mieux que lui. On sait de Jean qu’il est revenu de la campagne d’Italie et qu’il a abandonné une charge de menuisier à la ville pour vivre à la campagne. Cette nouvelle vie lui convient et la passion de la terre s’empare de lui. Mais n’étant pas du pays et venu les mains vides, il ne peut prétendre à la terre que par le mariage et malgré la considération que lui accorde le village, il reste un étranger. Et dans les terres paysannes, on aime autant que le bien ne sorte pas de la famille.

    Émile Zola s’y entend pour évoquer la sensualité : elle était décadente dans La curée, au milieu de la grande serre d’Aristide Saccard. Elle était franche et délurée dans Nana. Elle était vaudevillesque dans Pot-bouille. Elle était coquette et raffinée Au bonheur des dames. Ici, elle est tellurique et profonde : de semailles en moissons, sans oublier les labours, la terre est un ventre sans cesse travaillé et fécondé, portant chaque année des épis lourds de sa future semence. La terre est un de mes volumes préférés de la saga des Rougon-Macquart : j’ai aimé la violence qui exhale de la terre et la rudesse bornée des paysans. Du grand Zola !

  • Magali C.

    Biographie d’Alexis Sempé, sur la base des carnets, de la correspondance, des discours et des photographies de Gaston Revel.
    Né en 1915 dans l’Aude, Gaston Revel se destine très tôt à l’enseignement. Pacifiste et sensible aux idées du Front populaire, il développe rapidement une forte conscience politique qu’il exprime notamment dans sa longue correspondance avec Janos Mezei, un ami hongrois, et chaque lettre sonne comme un manifeste lancé d’une tribune anonyme. « Nous pendrons le dernier Croix de feu avec le dernier boyau du dernier des curés. » (p. 34)