Marc F.
Une ode à la montagne

Gaspard est berger dans les Pyrénées depuis cinq ans et il remonte cet été. Le précédent, une vingtaine de brebis ont dévissé de la montagne et une bergère a également perdu la vie. Alma, une éthologue, est chargée de surveiller le comportement des ours. Nous suivons également Jules, dresseur d'ours à la fin du XIXème siècle, et qui a emmené son numéro de dressage jusqu'à New-York. Roman intéressant, qui nous immerge dans la nature, la vie de berger avec ses joies et les problèmes de perte de bétail, les contradictions de chacun, la présence de l'ours qui divise les habitants, et la vie des villages montagnards aux prises avec les urbains qui viennent randonner.

Pascale B.
Ours à problème

Le roman se déploie à travers deux périodes temporelles dans la vallée de l’Ariège.
Nous suivons Jules en 1889, saltimbanque « dresseur d’ours » partant s’enrichir aux États-Unis. De nos jours, Gaspard et Alma, fascinés par la montagne : Gaspard s’occupe de la transhumance tandis qu’Alma tente d’apporter des solutions en faveur d’une cohabitation entre les villageois et les ours réintroduits.
L’ours, emblématique des Pyrénées, divise la population en raison de ses attaques sur les troupeaux. Le roman explore cette controverse tout en décrivant au plus près les conditions de la vie pastorale, la domination, la désillusion.
Les bergers grimpent, la tension monte….
Le parcours de Jules, semé de rencontres et d’embuches, la culpabilité de Gaspard qui ne guérit pas, la ténacité d’Alma ; rendent les personnages attachants.
Récit très documenté et précis. Une lecture incontournable pour ceux intéressés par l’histoire, la montagne et les enjeux de conservation de la faune sauvage.

« L’estive offrait toute la palette des expériences sensorielles »
« Alma sourit. Elle allait se glisser dans les pas de l’ourse, dans sa peau, un projet rêvé pour une naturaliste, et devenir animale »

« Tu vois, souvent j’ai peur de n’avoir pas assez transmis…. Qui va garder les histoires des anciens ? »

Eric R.
Une grande fresque contemporaine

C’est une ombre, ou plutôt une silhouette, qui vous accompagne tout au long de la lecture de ce beau roman. Droite, velue, imposante elle se dresse devant vous pour signifier sa présence vivante. Plus sûrement elle s’impose derrière votre dos, vos épaules, guettant vos réactions, invisible à votre regard, mais omniprésente. L’ourse est la clé de voute de cette histoire. D’abord parce que au coeur de ces Pyrénées elle a longtemps fait figure de symbole, une figure naturelle qui parfois pouvait mener de l’autre côté de l’Atlantique comme ce fut le cas pour Jules à la fin du XIX ème siècle. Muni d’un passeport de dresseur d’ours, de saltimbanque il s’embarque pour Londres, New-York ou Montevideo. On va le suivre par intermittence jusqu’à sa tombe, symbole d’un vieux rapport au vivant. Ensuite, parce que deux cents ans plus tard, l’ourse est revenue, réimplantée par l’homme, suscitant désormais dans les hameaux de la vallée les tensions et les passions.
Parmi ces habitants du village, deux personnages émergent et vont nous raconter alternativement six mois de transhumance et d’estive. Gaspard, revenu à ses origines entrecoupées d’années citadines, est berger. Il remonte cette année avec plus de huit cents brebis après un drame survenu la saison précédente. Il se doit à lui même de repartir, pour ne pas faire de la montagne et des ours, une peur éternelle.
Alma, est là depuis moins longtemps. Jeune éthologue, elle a pour objectif d’étudier le comportement des ours et d’apporter des solutions aux éventuelles prédations commises. Entre eux deux, les habitants du village, ceux qui comme la plupart des éleveurs, refusent la réimplantation de l’animal sauvage, ceux qui l’acceptent du bout des lèvres, et ceux qui ne disent rien mais n’en pensent pas moins. Les tensions s’exacerbent mais ne s’expriment jamais pleinement. Ainsi se crée une forme paradoxale de huis clos dans le plus vaste espace possible, celui de la montagne qui obéit en rechignant aux exigences des hommes et subit le réchauffement climatique.
L’écriture de Clara Arnaud embrase et embrasse notre monde d’aujourd’hui évitant les clichés et donne à la nature le premier rôle, celui de la beauté empreinte parfois de la violence.

« Ici, il y a du sang et des tripes, de la beauté, ça va ensemble ! Tu le sais! ».

Décrivant ce paradoxe éternel, elle écrit un roman qui a la force des montagnes qui se dressent et constituent la toile de fond magnifique d’une histoire où le bien et le mal, le noir et le blanc, se côtoient, se mélangent. A un énorme travail documentaire sur le terrain, se superpose une langue poétique magnifique qui nous emmène sac à dos, sur les chemins pierreux offrant une vue unique sur le mont Calme. On chemine sur les sentiers escarpés, bravant le brouillard ou la canicule, randonneur témoin du climat modifié qui bouleverse la vie et l’instinct des animaux. On partage les préoccupations scientifiques de Alma, l’humanité éternelle de Jean, le berger de 80 ans qui prépare sa mort au pied du vieux hêtre noueux.

Roman écologiste sans le revendiquer, roman sociétal sans l’écrire, roman amoureux sans le dire, roman documentaire sans le montrer, roman féministe sans le clamer, ce récit est un peu tout cela. Il nous redit comme l’écrit le poète arménien Hovhannès Chiraz, dont un vers donne le titre au roman, que:

« Eternels nous sommes comme vos montagnes
Et vous passerez comme des vents fous ».

Le vent de la folie qui pousse les hommes vers la chute du pierrier, tout en bas, au fond de la combe. Sans plus jamais pouvoir remonter.