o n l a l u
Pour un nouveau rupificaldisme

Comment peut-on être un La Rochefoucauld ? Une question devenue épineuse depuis le 14 juillet 1789, et même bien avant cette date, comme l’illustre avec beaucoup d’humour l’un des membres de cette famille intimement liée à l’histoire de France.  Quand les élèves de France et de Navarre révisaient impassiblement leurs dates pour l’interro du lendemain, le jeune Louis-Henri se découvrait quant à lui une ascendance bien plus brimée que ne le laissaient supposer son rang et son rôle au fil des siècles. N’est-ce pas un La Rochefoucauld qui fut chargé d’annoncer à Louis XVI la prise de la Bastille? Qui fut ridiculisé par Saint-Simon dans ses " Mémoires "? Qui s’exclamait le soir de la Saint-Barthélémy, pensant être la victime d’une boutade de son pote Charles IX, “Ne frappez pas trop fort!” ?  Pire : au lieu d’avoir tiré des leçons de ces fiascos successifs, la famille semble s’être murée dans un immobilisme confinant au manque total de clairvoyance, un état de fait déploré par l’auteur qui lance cet appel : “Je crois qu’il est temps pour notre vieux peuple de sortir de l’orthodoxie patricienne, qu’il relise sa longue histoire avec un regard neuf et que nous nous défassions du rupificaldisme* à l’ancienne pour réinventer un rupificaldisme sur la brèche, moderne et rigolard, avant-gardiste et néo-aristocratique ! “ L’autodérision en guise de remède à la particule. C’est plutôt finaud, Louis-Henri, mais cela ne semble pas beaucoup plaire aux protagonistes concernés, qui crient au sacrilège et menacent de vous déshériter. Marianne n’est décidément pas prête à vous accueillir dans son lit.

La lecture de " La Révolution française " peut réserver un certain nombre de malentendus. D’aucuns l’auront taxé de nonchalance, d’inutilité ; c’est négliger les deuxième et troisième parties de ce triptyque. Car derrière ce qui s’apparente à des jérémiades sans fin, mâtinées de digressions et de traits d’humour rupificaldien, pénibles à la longue, se dissimule un aveu réel d’incommunicabilité et d’inadéquation au monde, dont le " Feu follet " de Drieu la Rochelle constitue le témoignage le plus remarquable. Au fil des pages, le travail de l’autobiographie fait son oeuvre : l’auteur cesse de se réfugier derrière les pitreries et les anecdotes, le récit prend alors une autre dimension, plus émouvante, et révèle de furtifs instants de grâce, comme ce paragraphe consacré à l’ambiance des rallyes. Au contraire d’Alain Leroy, Louis-Henri de la Rochefoucauld trouve ainsi sa rédemption dans la littérature et ne s’en cache pas, au grand dam de ses parents qui voient d’un mauvais œil ce " Roman des Jardin " à la sauce aristo. Ne les écoutez pas, cher Louis- Henri : écrivez.

* Comme chacun le sait (!), rupificaldisme vient de rupificaldien, ce qui va de soi... Les Rupificaldiens sont les habitants du village charentais de La Rochefoucauld.

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sandrine57

La Rochefoucauld, un nom à particule qui évoque la vieille noblesse française et ses privilèges, une famille qui vit dans l'or et dans la soie, qui écrit l'Histoire de France depuis des siècles, qui use ses guêtres à la cour des rois, bref le haut du panier conquérant et dominant. Que nenni ! répond le jeune Louis-Henri, son dernier descendant. Halte aux préjugés! Les La Rochefoucauld ont de tout temps été brimés par l'Histoire, malchanceux et décriés. Et si la révolution française leur a donné le coup de grâce, cette déveine et bien antérieure ! Sous Louis IX déjà, François de La Rochefoucauld, pourtant proche du roi, fut assassiné le soir de la Saint-Barthélémy pour avoir fait pencher son coeur du côté des huguenots. Et les exemples sont légion de La Rochefoucauld, raillés, critiqués, tués, guillotinés, toujours du côté des perdants. Avec une telle ascendance, on ne sera pas surpris si Louis-Henri est si peu adapté à la France du XXIè siècle. Comment vivre sereinement quand on se doit de défendre des valeurs dénigrées par le Citoyen et que, sans cesse, on sent le souffle froid de la guillotine sur sa nuque ?!

Belle surprise que cette Révolution française qui offre un moment de détente bienvenu dans la morosité de la littérature française. Le ton est lyrique, enjoué, le second degré est de mise et le tout est savoureux. Louis-Henri de LA ROCHEFOUCAULD s'essaie à l'auto-fiction mais avec les armes de la noblesse et c'est donc jusque dans les livres d'Histoire qu'il peut dénicher ses fines anecdotes. Mais malgré les élucubrations les plus farfelues, les comparaisons qui vont parfois se nicher du côté du troisième degré et l'humour grinçant, on trouve aussi dans ce roman les failles, les blessures d'un jeune homme qui a été élevé comme un anachronisme, peinant à s'intégrer, écartelé entre une éducation rigide et communautaire et l'envie d'être tout simplement "comme les autres". L'auteur en profite aussi pour régler quelques comptes avec la République née de la révolution de 1789 en faisant valoir le fait que ce n'est pas le peuple qui a décidé de liquider la monarchie mais bien les nobles qui, dans un élan libertaire, votèrent l'abolition des privilèges. Un roman loufoque et irrévérencieux qui donne le sourire.