Yv

Soyons direct, c'est un livre difficile. Par le thème qu'il traite bien sûr, mais surtout par l'écriture de Perrine Le Querrec. Totalement déstructurée. Alternance de phrases classiques. Puis des phrases nominales. Puis un mot entre deux points. Ça peut dégoûter. Énerver. Dérouter. Plaire. Enthousiasmer. D'un naturel tolérant, je suis à la fois ravi, enthousiasmé par le style, l'originalité et de l'écriture et de la mise pages (couleurs, tableaux, abécédaires, jeux avec les polices de caractères, les italiques, les gras, ...) et un rien fatigué sur la longueur. Pas aisé de tenir le rythme sur les 234 pages !
Un roman qui démarre fort, et les premières lignes sont à l'image de la totalité du texte. Soit ça passe soit ça casse :
"Elle entend. Jeanne. C'est Jeanne L'Étang. Elle arrive. Des feuilles humides. De la terre. La forêt. De l'air. Un cri. Celui de Jeanne L'Étang, née un jour d'octobre 1856. Pluie de feuilles, pluie de sang, pluie de cris. On la prend. On la débarrasse des feuilles. On la serre contre la bouche. "Jeanne ! Ma Jeanne !" On la mouille de sang et de salive. On la nettoie. ­A coups de langue, entre "Jeanne !" et "Jeanne !" Lever les petits bras, nettoyer, là aussi, plis du cou, jambes cerceaux, poings virgules, cheveux noirs. Les yeux, longuement. Jeanne s'envole au bout de deux bras, plonge sous la robe, rencontre la peau. appliquée. Transférée. Jeanne L'Étang a chaud. Elle s'endort contre Dora, Dora sa mère. Un sein au-dessus de ses cheveux noirs. On est à l'abri ici. Il fait chaud." (p.7)
Si vous passez ces lignes sans encombre, vous êtes prêts pour la suite. Moi, elles m'ont scotché et j'ai donc continué avec envie. Et je n'ai pas été déçu. Vous croiserez dans ce roman, Edgar Degas, le docteur Charcot et même compendieusement Sigmund Freud. Haussmann également ou plutôt sa transformation de Paris : "Perversion, dégénérescence, homosexualité, peur du juif, criminalité, décadence, syphilis, statistiques, population migrante : Paris détruit ses taudis et se reconstruit dans un vocabulaire brutal." (p.21)
Avis aux amateurs/trices de livres qui sortent de l'ordinaire : laissez-vous tenter, faites-vous votre propre idée.