Arnaud B. Libraire

Fairyland : où l'on croisera Harvey Milk et ses opposants aussi farouches que grossiers ; Richard Brautigan, désabusé dès le petit déj' ; Allen Ginsberg en figure tutélaire ainsi que la clique queer du Haight Street de San Francisco ; enfin, Steve Abbott, pierre de touche entre ce monde et sa fille qu'il élève seul. Pour nous faire parvenir cette lettre d'amour au père, Alysia Abbott replonge dans ses souvenirs en s'aidant des cahiers à spirales du poète, des photos de famille, de leur correspondance. On suit leur vie à deux, les doutes, les émois, les improbables colocations, la musique et l'effervescence des revues de poésie, l'université, le sida. C'est un récit à la beauté diaphane, comme si on lisait à travers les peaux : c'est un livre sur ce qui nous est donné par amour. Coup de cœur.

Clara

Alysia Abbott perd sa mère dans un accident de voiture à l'âge de deux ans. A partir de ce jour, son père Steve Abbot décide qu'ils vont s'installer à San Francisco et qu'il va assumer pleinement son homosexualité. Sauf que nous sommes dans les années 70.

Alysia s'est plongée dans les journaux intimes de son père. Ainsi, chaque évènement est relaté par deux voix celle d'Alysia à partir de ses propres souvenirs, et celle de son père. Poète et défendant ardemment les droits des homosexuels, Steve Abbott était membre de la communauté hippie de San Francisco. Son père amenait Alysia partout avec elle dans les réunions, dans les groupes de poètes. Si enfant, elle ne trouvait pas "étrange" de trouver des petit amis dans le lit de son père, l'adolescence fut marquée par la difficulté à trouver sa place. Elle ne connait personne dont le père est gay, elle et lui ne s'inscrivent pas dans la modèle de famille conforme. Et il s'agit d'une époque où des personnalités mènent des campagnes actives dans tout le pays contre les homosexuels. Ils sont agressées et le sida commence à faire ses premières victimes. Même si en 1985, on disait clairement que personne n'était à l'abri du sida, la colère et les actes contre les homosexuels étaient violentes ( ils étaient la cause de la maladie). Son père peine à joindre les deux bouts financièrement, accumule les petits jobs.
Un père qui élève sa fille en lui laissant la liberté ( même si à cinq ans Alysia n'était pas capable de se garder toute seule) et en lui inculquant des valeurs de respect envers les autres. Un chemin ponctué pour Steve par ses amours brisés, par la drogue mais toujours par des preuves d'amour envers sa fille (comme quand il a envisage de dépasser son homosexualité pour sa fille) et puis le sida. Pour Alysia, il était difficile d'assumer leur vie bohème, l'homosexualité de son père " je n'étais certes pas "gay", cependant, je savais que "gay" s'appliquait à moi à cause de papa. Et, durant mes deux premières années à l'école franco-américaine, entre les dictées en français, le leçons de maths, les visites à Kewanee et les heures passées devant la télé, j'avais appris que l'homosexualité était : a/ "dégoûtante", et b/ que je n'y pouvais rien. Or ce côté dégoûtant n'était pas lié à vos actes : c'était quelque chose qui pouvait vous arriver - ou alors vous étiez né avec.".
Quand son père est devenu trop affaibli par la maladie, Alysia abandonne ses études pour s’occuper de lui. Il mourra en 1992, elle avait vingt ans.

Il s'agit d'un témoignage rare par sa beauté, sa force d'une père et une fille qui entretenaient une relation fusionnelle. On a le sentiment d'un livre écrit à quatre mains (c'est une des forces de ce récit), et celui de découvrir les années 70 et 80 à San Francisco.
Tout y est écrit les frustrations comme les joies, il n' y aucun tabou. Un livre devenu hérisson qui m'a plus qu'émue !

Merci à Arnaud pour ce conseil de lecture !