Les éditions P.O.L, 35 ans de littérature du vacillement

Entretien avec Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur et éditeur des éditions P.O.L

Les éditions P.O.L ont été créées en 1983. Pourriez-vous nous raconter les débuts
de la maison ?

En fait l’histoire de cette maison commence en 1969, lorsque j’entre chez Christian
Bourgois, comme stagiaire. Elle se poursuit entre 1970 et 1977, chez Flammarion, où je
crée une collection de littérature contemporaine, « Textes », qui publiera une
quarantaine de titres. Puis chez Hachette, avec Hachette/P.O.L un petit département
assez autonome, où je publierai notamment La Vie mode d’emploi de Georges Perec. C’est
grâce à ces expériences, grâce à l’amitié de certains auteurs, grâce à l’appui financier de
Flammarion à nouveau, que je peux envisager la création, en 1983, de P.O.L, qui fêtera
ses 35 ans en janvier prochain.
Les débuts d’une maison d’édition sont (presque) toujours euphoriques, on publie et, si
faibles qu’elles soient, il y a des ventes, et pas de retours. C’est la deuxième année que les
problèmes surviennent, et d’autant plus quand on entend mener une politique littéraire
aventureuse. Je n’ai bien sûr pas échappé à la règle… Mais j’ai eu tout de même la chance,
dès 1984, que Marguerite Duras me confie La Douleur, celle aussi qu’en 1986, René
Belletto remporte avec L’Enfer successivement le Livre Inter et le Prix Femina… et ainsi
de suite, il s’est trouvé d’années en années de nouveaux auteurs, de nouveaux textes
pour permettre à la maison de passer un certain nombre de caps difficiles, tandis que le
groupe Gallimard devenait majoritaire au capital de P.OL.

Aujourd'hui, vous publiez entre 40 et 50 livres par an. Comment faites-vous vos
choix éditoriaux et que recherchez-vous dans un texte ?

Mes choix éditoriaux n’ont fondamentalement pas changé, ils s’attachent toujours à ce
qui me paraît nouveau et cela dans quelque registre que ce soit. C’est la littérature qui
change, évolue, ce sont de nouveaux auteurs qui surviennent. La règle est de rester
attentif, curieux, ouvert à ce qui advient. En allant un peu plus loin, je dirai que ce que je
recherche dans un texte c’est un vacillement, une certaine perte d’équilibre, une remise
en cause de mes certitudes (littéraire, mais pas seulement), c’est un trouble durable.

Le catalogue des éditions P.O.L compte 200 auteurs, que vous accompagnez de
livre en livre. Comment se construit la relation entre éditeur et auteur ?

Dans moins de deux ans je fêterai mes cinquante ans d’édition… Autant dire que j’ai eu,
en effet, l’occasion d’établir avec certains auteurs des relations sur la durée. Je pense à
Marc Cholodenko, à Bernard Noël, à Jean Frémon, à René Belletto que je publie depuis
plus de quarante ans, et à tant d’autres. Tous, anciens, récents, savent et vérifient que
quand je les publie ça n’est pas pour un livre ou deux, c’est pour leur œuvre, pour qu’elle
trouve de livre en livre les conditions les plus favorables à son épanouissement, tandis
qu’ils peuvent compter, quand ils en ressentent le besoin, sur un accompagnement
littéraire, des conseils. Ils savent aussi que cette maison a vocation à publier tous les
genres dans lesquels ils ont envie de s’exprimer. Et enfin, ils savent que le destin
commercial de leurs livres n’entre jamais en ligne de compte dans mes décisions. Je crois
que c’est sur ces bases qu’une relation solide et profonde peut s’établir entre les auteurs
et leur éditeur.

Pourriez-vous nous dire quelques mots de la rentrée littéraire et de la façon dont
se prépare ce temps important de la vie littéraire ?

Nous publions, comme chaque année, cinq romans pour la rentrée. C’est un moment fort,
c’est un moment difficile et périlleux ne serait-ce que parce que, vous êtes très bien
placés pour le savoir, la production est des plus abondantes. Nous nous attachons à
présenter des livres dont nous pensons qu’ils sont susceptibles de tenir le choc, soit que
leur auteur ait déjà acquis une vraie notoriété, soit que nous pensions que le moment est
venu pour elle ou lui de bénéficier de cette exposition que peut offrir la rentrée. Et dans
tous les cas nous ne présentons que des romans dont l’évidence est telle qu’elle nous
paraît pouvoir être partagée. Cela n’est pas forcément vrai de tout ce que nous publions,
il y a des livres plus fragiles, plus secrets, dont nous pensons tout autant de bien mais
dont nous estimons que nous les mettrions en danger en les publiant à la rentrée. Il faut
aussi évoquer les premiers romans qui bénéficient systématiquement d’une certaine
attention en septembre. Mais nous n’en avions pas de prêt cette année.
Quant à la préparation de ce moment important, elle commence très tôt, dès mars, dès
avril, où nous nous efforçons déjà d’attirer l’attention de la presse et des libraires sur
notre production d’automne.