• Magali C.

    L’auteure raconte l’histoire de son père, Behrouz. Enfant prématuré et entouré des soins constants et dévorants de sa mère, le jeune Behrouz vit le jour à Téhéran dans les années 1940, au sein de la bourgeoisie iranienne. Le garçon ne manqua jamais de rien, mais il montra très tôt un intérêt marqué pour Karl Marx dont il fit le sujet d’une thèse qu’il n’acheva jamais. Inscrit à la Sorbonne dans les années 1960, Behrouz fut toute sa vie un étudiant avide de connaissances, un intellectuel curieux et engagé. Il ne travailla jamais et la propriété ne l’intéressait pas. « Il était parfaitement dénué du désir de dépasser les limites étriquées de son enveloppe charnelle et de l’étendre au monde matériel. » (p. 26) Mais contrairement à ses amis ou à son entourage, il ne connut pas les douleurs de l’exil et les terreurs de la révolution islamique qui bouleversa l’Iran.

    Yassaman Montazami aimait son père avec ferveur, voire avec adoration. Il la traitait avec respect, comme une adulte et l’enfant entra très tôt dans le monde intellectuel de son père. Pour elle, il est un héros généreux et drôle. « Être libre de son temps lui laissait également toute latitude de donner le sien. Car mon père était d’un dévouement incommensurable. » (p. 56) Mais, les années passants, l’enfant devenue femme porte sur cet homme un regard qui, s’il reste tendre, est moins complaisant. Elle parle également de sa mère Zâhra et de sa grand-mère Rosa. Ce livre du père est un troublant récit des origines et un bel hommage à la famille. Hélas, je suis très peu sensible à l’autofiction. En outre, la plume de Yassaman Montazami, bien qu’honnête et maîtrisée, manque cruellement d’identité à mes yeux. Le témoignage est bouleversant, mais la voix qui le porte n’a pas d’accent.

    Toutefois, j’ai apprécié ce livre pour ce qu’il montre de l’Iran. La révolution islamique en littérature, je l’ai découverte avec Marjane Satrapi et son roman graphique, Persepolis. L’auteure racontait son histoire et celle de ses proches en plein cœur du bouleversement qui marqua le pays. Dans son texte, Yassaman Montazami insiste bien sur la honte, voire sur la douleur paradoxale que ressentait son père de ne pas avoir souffert du changement de régime. Même en prenant fait et cause contre la dictature islamique, Behrouz n’a pas été un martyr de la révolution islamique et c’est peut-être la pire souffrance qu’il pouvait endurer, lui qui ne vivait que pour ses idées.

    Voici donc une lecture en demi-teinte qui ne m’a pas vraiment émue, mais dont j’ai apprécié les réflexions. Et même si Yassaman Montazami n’a pas su me toucher en parlant de son père, elle a su me rappeler – bien que je ne puisse jamais l’oublier – à quel point j’aime le mien. D’un hommage au père à un autre, finalement, le meilleur des jours est toujours celui où je vois et j’entends mon papa.

  • Magali C.

    Recueil de poèmes de Jean Genet.
    "Le condamné à mort" est dédié « à Maurice Pilorge, assassin de vingt ans ». C’est un long poème qu’un amant adresse à son aimé, séparé de lui dans une autre cellule. Cette élégie carcérale, ce sont les dernières amours d’un condamné. « Tristesse dans ma bouche ! Amertume gonflant / Gonflant mon pauvre cœur ! Mes amours parfumées / Adieu vont s’en aller ! / Adieu couilles aimées ! / Ô sur ma voix coupée adieu chibre insolent ! » (p. 13) Aucun remords ou aucun repentir : la faute de l’amant condamné n’est rien, elle compte pour rien : seule vaut l’insolente beauté et l’arrogante jeunesse que l’amant poète ne cesse de célébrer, les érigeant en raisons, en excuses, voire en alibis. « Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour. / Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes. / On peut se demander pourquoi les Cours condamnent / Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour. » (p. 18)
    Dans ses autres poèmes, s’il fait référence à l’amant coupable, Jean Genet célèbre surtout les amours homosexuelles, entre félicité et douleur, comme le sont toutes les amours. « J’arrive dans l’amour comme on entre dans l’eau, / Les paumes en avant, aveuglé, mes sanglots / Retenus gonflent d’air ta présence en moi-même / Où ta présence est lourde, éternelle. Je t’aime. » (p. 84) Le poète peint des tableaux où l’érotisme, voire la pornographie, se font poétiques. Mais le lyrisme reste toujours canaille et gouailleur. Sous des dehors très classiques où l’alexandrin s’installe confortablement dans des quatrains, rien n’est sage. Le poète ne maîtrise les règles de l’art que pour mieux s’en jouer. Ainsi, les rimes embrassées font des pieds de nez aux murs qui séparent les amants et les rejets en début de vers sont autant d’éjaculations audacieuses.
    Dans Le funambule, c’est à Adballah qu’il s’adresse, son jeune amant artiste. « Ce sont de vains, de maladroits conseils que je t’adresse. Personne ne saurait les suivre. Mais je ne voulais pas autre chose : qu’écrire à propos de cet art un poème dont la chaleur montera à tes joues. Il s’agissait de t’enflammer, non de t’enseigner. » (p. 127) Ce poème en prose est un appel à l’humilité du funambule qui ne doit être superbe que sur son fil. Et l’osmose doit être parfaite entre l’homme et l’objet. « Cet amour – mais presque désespéré, mais chargé de tendresse – que tu dois montrer à ton fil, il aura autant de force qu’en montre le fil de fer pour te porter. Je connais les objets, leur malignité, leur cruauté, leur gratitude aussi. Le fil était mort – ou si tu veux, muet, aveugle – te voici : il va vivre et parler. » (p. 107)
    Ce recueil, je le lis et le relis depuis des années. Je n’avais pas encore osé en parler sur ce blog. Oh, ce n’est pas par pudibonderie devant le sujet. C’était plutôt l’aveu de mon incapacité à parler suffisamment bien de ces textes superbes. Maintenant que ce billet est écrit et publié, j’ai honte de mes mots si plats qui rendent si mal hommage à la sublime prose poétique de Jean Genet. Je lis peu, très peu de poésie, mais celle-ci me berce depuis longtemps.

  • Magali C.

    Roland, Eddie, Susannah, Jake et Ote sont lancés à pleine vitesse dans un train suicidaire. Leur seule chance de survie est de se livrer à un petit jeu fatal de devinettes. Au terminus, le ka-tet aura changé de monde, une fois encore. « Nous voilà tout près de la fin de l’Entre-Deux-Mondes et tout près du commencement du Monde Ultime. La première grande étape de notre quête est terminée. » (p. 97) Momentanément détourné du Sentier du Rayon, le groupe doit prendre le temps de s’arrêter et d’écouter le récit de Roland.

  • Magali C.

    L’auteure rend hommage à Victor Dojdila, fils d’immigrés polonais qui a passé quarante ans dans les prisons françaises pour un geste malheureux qui hurlait sa colère. Tout ce que voulait Victor, c’était obtenir réparation pour les années passées à Dachau. « Nous avons été bouleversés par cette hargne qui te poussait à vouloir régler tes comptes, jusqu’au bout, jusque dans tes derniers jours. » (p. 12) Victor n’était pas un saint et ce n’est certainement pas ainsi que Michèle Lesbre veut le présenter.

  • Magali C.

    Une jeune femme attend un métro. Au moment où la rame entre en gare, un vieil homme lui sourit et se jette sous les rails. La jeune femme s’enfuit et erre dans la ville, sous la pluie, tourmentée par l’image de cet homme souriant. Ce faisant, elle oublie son rendez-vous avec son amant dans un hôtel près d’une plage. Ce n’est qu’au matin qu’elle raconte sa nuit déambulatoire. Mais l’amant photographe n’est pas sensible aux mots : saura-t-il entendre tout ce que signifie la phrase « Écoute la pluie » ?