ARNAUD B.

Vernon Subutex est disquaire indépendant. Était, plutôt. Il avait même un appartement. Avant. Mais ce ne sont pas les seuls changements dans sa vie. Alex, star planétaire, chanteur immensément connu, ami véritable de Vernon depuis l'adolescence, est mort. Ce dernier lui laisse des enregistrements testamentaires sur lesquels une certaine frange de la profession spécule. Prétexte pour Virginie Despentes de passer en revue une galerie de personnages haut en couleur, chacun connaissant Vernon Subutex d'une manière ou d'une autre. Une maîtrise formelle très forte, un sujet jouissif, ce récit se boit sans qu'on en soit désaltéré pour autant. On a hâte d’être à début mai pour la suite.

A l'occasion du bicentenaire de la retraite de Russie, jour pour jour, Sylvain Tesson (accompagné de quatre amis) met les roues de son side-car, dans celles de Napoléon et de sa Grande Armée. Treize jours durant, de Moscou à Paris, par -20°, il interroge l'Histoire, relisant les mémoires de Caulaincourt, « greffier » de l'Empereur. Le voyage, le défi, les amitiés, mais aussi, l'honneur, le froid, ce qui sépare les hommes d'hier de ceux d'aujourd'hui, autant de digressions sur lesquelles Tesson nous donne à réfléchir hardiment. Si la Bérézina aurait dû signifier « On l'a échappé belle », c'est à une belle échappée qu'il nous convie. Beaucoup de générosité émane de cet auteur si seul soit-il.

Un an après Danse noire, roman si dense qu'il a dérouté plus d'un lecteur, Nancy Huston nous offre un récit simple et touchant. Elle s'adresse au fœtus qu'attend sa mère dans les années 50 et lui explique ce qui l'attend jusqu'à maintenant (elle en somme aujourd'hui devenue). De naissance en décès, du Canada à l'Allemagne, de Kenneth à Alison, parents qui tentent d'élever leurs enfants, tantôt avec Beckett tantôt avec Barthes nous sommes toujours avec elle, Nancy-Doritt Huston, avec laquelle on se surprend à aimer encore et encore penser.

Le contre-livre de Daoud est le faux jumeau de l’Étranger. A Meursault se substitue Haroun, frère de Moussa, l'Arabe mort, l'Autre, qui nous fait entendre sa langue, notre langue. Dans une mélopée aussi belle que la colère, Haroun nous dit le chagrin de M'ma vivante encore aujourd'hui, Oran et les plages de soleil, de sel et d'ombres mortes ; nous dit les silences et la rage, l'éveil du veilleur, la mer et la séparation. C'est un livre de distances puis, de proximités ; de lieux qui marquent les visages, de famille. Qui pose des questions folles, tues – qui est l'Arabe ?... - ; et le journaliste Daoud, jamais aussi proche du maître, interroge ailleurs : « Faut-il rapatrier les cendres de Camus ? ». Une contre-enquête ? Tout contre alors.

Depuis 40 ans, Javier Mallarino est le caricaturiste d'El Independiente, le journal le plus lu de Colombie. Il a croqué de son trait satirique la plupart des injustices de son pays : militaires, juges, hommes politiques... Il va être honoré par la nation pour son œuvre mais voilà qu'il se rappelle le suicide d'un député suite à l'un de ses dessins. Roman hautement latino-américain, Les Réputations dresse le portrait d'une démocratie et de l'un de ses enfants, s'interroge sur ce dont on se souvient, la jeunesse et la vieillesse. Limpide comme l'encre de chine, acérée comme un stylet, la plume de Vasquez se confond avec celle de son héros.